Jean Hein
31 juillet 2023 (dernière révision)
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Une proportionnelle pour les concilier tous, et dans la République les lier
Scrutin proportionnel : piste de travail pour engager un compromis cohérent en commission transpartisane
Ce document fait une synthèse des lois pour instaurer la proportionnelle proposées depuis le début de la XVIe législature par le MoDem (nº 211), le Rassemblement national (nº 555), et les Écologistes (nº 706), et prend en compte les positions exprimées par les différents groupes politiques de l’Assemblée nationale.
Afin de faciliter un compromis, cette proposition satisfait plusieurs critères :
- sans accords préélectoraux, elle permet la réélection d’un nombre de groupe équivalent à la XVIe législature, ni plus, ni moins,
- elle garantit à chacun des groupes une proportionnalité précise,
- elle a pour cadre les circonscriptions les plus locales possibles,
- elle maintient le financement actuel des campagnes électorales et des partis.
Certaines des modalités proposées dans ce document peuvent paraître techniques mais toutes portent bien des enjeux fondamentalement politiques, qui ne peuvent être délégués à des experts. Les aspects techniques qui n’ont qu’une influence marginale sur l’équilibre des pouvoirs sont écartés de ce document.
Cette proposition peut être instaurée par une loi ordinaire : elle ne nécéssite ni loi organique ni réforme constitutionnelle. Elle est conçue pour ne pas affecter le corps électoral des élections sénatoriales.
Résumé technique du mode de scrutin
- 577 députés élus au scrutin de liste proportionnel, sans panachage, avec vote partiellement préférentiel :
- 477 sièges sont répartis dans 39 circonscriptions métropolitaines réunissant plusieurs départements au sein des régions (2,5 départements en moyenne par circonscription) élisant chacune de 8 à 17 députés, avec une circonscription pour la Corse, une pour chaque territoire ultramarin, et une pour les Français de l’étranger.
- 100 sièges compensatoires sont distribués dans les circonscriptions, sur la base des résultats nationaux, pour garantir une proportionnalité précise aux formations dont les listes ont obtenu plus de 3,5 % des votes nationaux.
1. Modalités générales
Ce scrutin proportionnel concilie deux objectifs garants de la légitimité de l’Assemblée nationale et donc de son autorité et de sa capacité à exercer son rôle :
- maintenir une proportionnelle intégrale et précise, garante de la représentativité politique des députés,
- avec les circonscriptions les plus locales possibles, garantes de la proximité des députés avec l’ensemble du territoire national.
Pour atteindre ces objectifs, cette proposition reprend les modalités des scrutins proportionnels scandinaves : scrutin plurinominal sur des circonscriptions locales, avec des sièges supplémentaires attribués pour garantir in fine une proportionnalité précise. Les sièges compensatoires sont attribués aux formations dont les listes ont obtenu au moins 3,5 % des votes nationaux (3,5 % des votes garantissent 20 sièges donc un groupe parlementaire). Ces sièges compensatoires bénéficient donc aux formations qui présentent des candidats sur tout le territoire.
Parce que ces modalités garantissent une proportionnalité précise, elles minimisent les débats présents et futurs pour savoir si tel ou tel détail ou modalité bénéficie à telle ou telle force politique. Elles évacueront aussi grandement les modalités du mode de scrutin des enjeux des campagnes électorales, qui se joueront sur un terrain plus consensuel.
2. Circonscriptions
Carte des départements par circonscription
tableau annexe : tableau des circonscriptions
La taille des circonscriptions choisies est un compromis entre les circonscriptions départementales proposées par le MoDem et par le Rassemblement national et la circonscription unique nationale proposée par les Écologistes.
Les circonscriptions départementales ont trop peu de députés (la moitié des départements ont 4 députés ou moins) pour permettre la proportionnalité précise que permet une large circonscription unique nationale. Avec 12 députés en moyenne par circonscription, les circonscriptions proposées dans ce document sont les plus petites circonscriptions qui garantissent, avec 100 sièges compensatoires, une proportionnalité précise.
Sans sièges compensatoires, il faudrait, pour garantir une proportionnalité juste des groupes aujourd’hui présents à l’Assemblée nationale, des circonscriptions d’au minimum 20 sièges en moyenne, sans qu’aucune ait moins de 12 sièges.
Chaque région métropolitaine est divisée en plusieurs circonscriptions réunissant en moyenne 2,5 départements. La plus petite circonscription a 1,2 millions d’habitants et 8 sièges (Bourgogne-Franche-Comté 2). La plus grande circonscription a 2,6 millions d’habitants et 17 sièges (Provence-Alpes-Côte d’Azur 1). Les circonscriptions ont en moyenne et pour médiane 1,8 millions d’habitants et 12 sièges. Une fois les sièges supplémentaires compensatoires attribués il y a en moyenne un député pour 120000 habitants dans chaque circonscription de la Métropole.
Les députés élus dans des circonscriptions de cette taille ne sont pas en concurrence de légitimité avec les élus des conseils départementaux et des conseils régionaux.
La Corse forme une circonscription unique avec, comme aujourd’hui, 4 députés. Les départements et territoires d’outre-mer forment chacun une circonscription unique avec le même nombre de députés qu’aujourd’hui. Les 12 circonscriptions des Français de l’étranger sont rassemblées en une circonscription unique de 12 députés.
3. Composition des listes
Dans chaque circonscription un parti ou groupe politique peut présenter sur sa liste autant de candidats qu’il le souhaite, dans la limite du nombre de sièges + sièges compensatoires distribués dans cette circonscription (voir tableau annexe : tableau des circonscriptions).
Conformité avec l’élection du Sénat
Pour être en conformité avec la composition du collège des grands électeurs pour les élections sénatoriales, chaque candidat d’une liste doit être déclaré dans un des départements de la circonscription. La répartition des candidats entre les départements de la circonscription se fait au prorata de la population des départements, à la manière dont les candidats des listes aux élections régionales sont répartis entre sections départementales.
Parité
Comme le propose le Rassemblement national et les Écologistes, et comme pour le Sénat, une liste ne peut avoir deux candidats consécutifs du même sexe.
Ce quota peut être modéré en s’inspirant de la modalité en vigueur au Portugal : les deux premiers candidats doivent être de sexe différent et une liste ne peut avoir plus de deux candidats consécutifs du même sexe. Les listes comprennent ainsi au moins 1/3 de candidats de chaque sexe. Le Conseil constitutionnel jugera si cela reste conforme avec les exigences de parité.
Quel que soit le quota par liste, l’ensemble des candidats d’un même parti devra respecter la parité pour ne pas se voir appliquer une retenue financière, conformément aux lois en vigueur.
Déclaration des listes
Un parti ne peut présenter qu’une liste par circonscription. Pour être considérées comme appartenant à un même parti et donc pouvant prétendre à l’attribution des sièges compensatoires, les listes d’un même parti doivent avoir le même nom dans toutes les circonscriptions. Une déclaration réunissant toutes les listes d’un même parti, signée par les candidats en tête de chaque liste, devra être transmise avant l’élection à l’administration nationale en charge de l’organisation des élections.
4. Répartition des sièges entre listes
- 477 sièges sont attribués dans les circonscriptions, selon la méthode du plus fort reste avec le quotient de Hagenbach-Bischoff.
- Comme dans les pays scandinaves, 100 sièges compensatoires sont ensuite répartis dans les circonscriptions et attribués sur la base de l’ensemble des votes nationaux, selon la méthode de la plus forte moyenne (traditionnellement utilisée en France) aux listes qui ont obtenu au moins un siège dans une circonscripton et plus de 3,5 % des votes nationaux.
Méthode du plus fort reste dans les circonscriptions
Il existe de nombreuses méthodes de calcul pour transposer une proportion des votes en un nombre de sièges, dont les plus utilisées sont la méthode du plus forte reste et la méthode de la plus forte moyenne. Chaque méthode a ses variations selon les quotients et dividendes utilisés. C’est quand le nombre de sièges à répartir est trop petit pour permettre une proportionnalité juste que la différence entre les résultats de chaque méthode est importante.
Quand les circonscriptions ont plus de 8 sièges, donc dans les circonscriptions métropolitaines (12 sièges en moyenne), les différences de résultat entre la méthode du plus fort reste et la méthode de la plus forte moyenne s’amenuisent. En revanche, sur les 11 petites circonscriptions de Corse et d’outre-mer (3 sièges en moyenne), la méthode de la plus forte moyenne aurait tendance à surfavoriser les listes qui reçoivent le plus de votes. La méthode du plus forte reste favorise au contraire un pluralisme dans ces petites circonscriptions, garante sur ces territoires d’une confiance renforcée dans l’Assemblée nationale.
Le quotient de Hagenbach-Bischoff modère le pluralisme auquel aboutit la méthode du plus fort reste et en corrige certaines incohérences mathématiques.
Sur une circonscription de 12 sièges, avec la méthode du plus fort reste et le quotient de Hagenbach-Bischoff, il faudra qu’une liste obtienne approximativement 5 % des votes pour espérer obtenir un siège.
Méthode de la plus forte moyenne pour les sièges compensatoires
La répartition globale des sièges, qui détermine le nombre de sièges compensatoires attribué à chaque parti, se fait selon la méthode de la plus forte moyenne.
Avec la méthode de la plus forte moyenne, quand une seule liste reçoit le même nombre de voix que plusieurs listes réunies, la liste seule a toujours l’avantage dans l’attribution des sièges. Cette propriété favorise légèrement les grands partis, dissuade les scissions, et prévient l’émiettement du parlement.
Quand il y a peu de sièges à répartir (moins de 8) la méthode de la plus forte moyenne suravantage fortement les listes qui obtiennent le plus de votes. Sur une répartition globale de tous les sièges de l’Assemblée nationale, cet avantage est de l’ordre du détail.
Seuil de 3,5 % pour les sièges compensatoires
Les seuils de votes nationaux à atteindre pour être représenté, et leur conséquence sur le nombre de partis élus, varient grandement : 5 % en Allemagne (6 partis élus), 4 % en Suède (8 partis), 3,25 % en Israël et 3 % en Norvège (9 partis), 2 % au Danemark (10 partis), 0,67 % aux Pays-Bas (12 partis). Le nombre de partis indiqué ici est une moyenne, dans chaque parlement sont aussi élus 1 % à 3 % de candidats indépendants.
Ce document propose un seuil de 3,5 % de votes nationaux afin de maintenir le même nombre de partis qu’actuellement à l’Assemblée nationale (entre 8 et 9). C’est aussi un compromis entre les 3 % de votes nationaux proposés par les Écologistes et les 5 % de votes départementaux sans seuil national proposés par le MoDem et le Rassemblement national.
Un seuil national inférieur à 3 % peut avoir pour conséquence l’augmentation du nombre de groupes avec qui il faut négocier pour former un gouvernement. Un seuil national supérieur à 4 % présente le risque d’exclure des sections d’électeurs, donc de diminuer la confiance dans l’Assemblée nationale et les députés, et leur autorité à légiférer et soutenir/contrôler un gouvernement stable.
En limitant le nombre de partis élus et donc les options de coalition possible, un seuil trop fort peut aussi rendre plus difficile la formation d’un gouvernement et mener au blocage politique. Si un seuil fort est moins problématique aux élections européennes ou dans un pays fédéral comme l’Allemagne, il pourrait en France miner la confiance dans l’Assemblée nationale.
Avec 3,5 % des votes nationaux, un groupe politique obtiendrait au minimum 20 sièges, donc un groupe parlementaire. Un candidat d’une formation qui n’atteint pas ce seuil peut toutefois être élu dans une circonscription.
Cette modalité a pour conséquence une proportionnalité précise qui permet d’éviter les procès en manque de légitimité et de faciliter les accords post-électoraux par deux mécanismes :
- Elle transpose les rapports de force présents dans la société et simplifie donc la négociation entre groupes politiques, qui ont moins intérêt à faire pression sur le processus législatif par des moyens extérieurs à ceux du Parlement comme les manifestations.
- Elle fait disparaitre les effets de « bonus aux listes en tête » des systèmes qui ne sont pas parfaitement proportionnels, et réduit donc les incitations à rester volontairement dans l’opposition pour bénéficier de ce bonus à l’élection suivante.
Enfin, ces sièges compensatoires permettent aux électeurs des petites circonscriptions (Corse et outre-mer) d’être représentés à l’Assemblée nationale même si la liste pour laquelle ils ont voté n’a pas d’élu dans leur circonscription.
5. Attribution des sièges aux candidats
Comme dans les propositions du MoDem, du Rassemblement National et des Écologistes, cette proposition ne permet pas le panachage, c’est à dire qu’elle ne permet pas aux électeurs de composer leur propre liste en combinant les candidats de plusieurs listes, comme c’est le cas en Suisse et au Luxembourg.
En revanche, à l’instar du mode de scrutin dans la grande majorité des pays européens, cette proposition accorde une place pondérée au vote préférentiel, c’est à dire à la possibilité pour les électeurs de voter pour un candidat d’une liste. Les modalités de cette proposition sont celles établies en 2018 par la commission transpartisane sur les institutions aux Pays-Bas (staatscommissie parlementair stelsel).
Comme aux élections européennes, chaque électeur vote pour une liste. En prime, chaque électeur peut émettre un vote préférentiel, c’est à dire choisir, optionnellement, de soutenir un des candidats de la liste pour laquelle il vote.
L’attribution des sièges se fait ainsi:
- Si dans une circonscription une liste a gagné 5 sièges,
- et que 2/5 des électeurs de cette liste ont choisi d’émettre un vote préférentiel pour un des candidats de la liste,
- alors 2 sièges de cette liste sont attribués selon le nombre de votes préférentiels,
- les autres sièges (3/5) sont attribués ensuite selon l’ordre de la liste.
À titre de comparaison, en Suède 20 % à 30 % des électeurs émettent un vote préférentiel.
- En facilitant l’élection des candidats en tête de liste, cette modalité modère la force coercitive du pouvoir de dissolution du président de la République.
- Les candidats en tête de liste sont un peu moins soumis aux aléas de l’opinion et peuvent ainsi se permettre de porter des décisions politiques difficiles comme la construction d’un compromis avec un autre parti.
- En laissant aux électeurs qui le souhaitent la possibilité d’exprimer une préférence pour un candidat, cette modalité permet de contrer les procès en parachutage, de convaincre les députés et les électeurs pour lesquels l’ancrage local est la priorité, et de globalement renforcer la confiance dans l’Assemblée nationale, donc son autorité.
En cas de démission d’un député, son remplaçant est choisi selon l’ordre de la liste.
Si le Conseil constitutionnel juge que les modalités de ce vote préférentiel ne sont pas conformes avec les exigences de parité, les sièges attribués selon l’ordre de la liste seront attribués de manière à reduire autant que possible l’écart entre le nombre de candidats de chaque sexe.
6. Bulletins de vote
Les bulletins de vote reprennent le format des bulletins aux élections européennes, avec une case avant le nom de chaque candidat afin d’exprimer un vote préférentiel, sur le modèle des bulletins suédois.
Ce modèle est compatible avec la pratique française : les listes candidates impriment et distribuent leurs bulletins de vote et sont ensuite remboursées si elles dépassent un seuil de vote.
7. Financement des campagnes et des partis
Pour le financement des campagnes, chaque liste dans chaque circonscription est en charge de son propre financement, en déclarant un mandataire financier comme le font aujourd’hui les candidats à la députation.
Les modalités de ce scrutin sont compatibles avec les règles actuelles de financement des partis à l’Assemblée nationale.
8. Estimation de la composition de l’Assemblée nationale élue avec ce scrutin
On peut estimer que de 5 % à 10 % des votes seront exprimés pour des listes qui n’obtiennent ni un siège dans une circonscription ni 3,5 % des votes nationaux. Chaque groupe politique dont les listes reçoivent plus de 3,5% des votes nationaux se verra donc attribuer un pourcentage de sièges à l’Assemblée nationale un peu plus élevé que le pourcentage de votes qu’il a reçu.
Seront attribués approximativement :
- 32 sièges pour 5 % des votes,
- 64 sièges pour 10 % des votes,
- 96 sièges pour 15 % des votes,
- 128 sièges pour 20 % des votes,
- 160 sièges pour 25 % des votes.
On peut estimer que seront aussi élus dans les circonscriptions 10 à 30 candidats issus de listes n’obtenant pas 3,5 % des votes nationaux.
9. Méthodes et formules
Les méthodes et formules utilisées sont détaillées dans le document suivant :
document annexe : Méthodes et formules
Ce document inclut les méthodes et formules précises :
- pour la répartition du nombre de sièges attribués à chaque circonscription en proportion de sa population,
- pour l’attribution des sièges d’une circonscription aux différentes listes en proportion des votes,
- pour l’attribution des sièges compensatoires aux différentes listes en proportion des votes et leur répartition entre les circonscriptions,
- pour l’attribution des sièges aux candidats relativement aux votes préférentiels exprimés.
10. Travail complémentaire nécessaire
Doivent être précisément et légalement définis :
- le découpage électoral,
- les règles de composition et de déclaration des listes,
- les méthodes et formules précises (document annexe : méthodes et formules) :
- pour la répartition du nombre de sièges attribués à chaque circonscription en proportion de sa population,
- pour l’attribution des sièges d’une circonscription aux différentes listes en proportion des votes,
- pour l’attribution des sièges compensatoires aux différentes listes en proportion des votes et leur répartition entre les circonscriptions,
- pour l’attribution des sièges aux candidats relativement aux votes préférentiels exprimés,
- les normes techniques et de contenu qui encadrent les bulletins de vote,
- les règles de financement des campagnes électorales.
Documents annexes
- Image : Carte des circonscriptions
- Image : Carte des départements par circonscription
- Tableau : Tableau des circonscriptions
- Graphique : Répartition de 4 sièges à la plus forte moyenne et au plus fort reste
- Graphique : Répartition de 12 sièges à la plus forte moyenne et au plus fort reste
- Image : Exemple de bulletins de vote
- Graphique : Rapport entre le pourcentage des votes et les sièges attribués
- Document : Méthodes et formules pour la distribution des sièges