Opinion

Proposition de loi du groupe écologiste pour instaurer la proportionnelle : qualités et limites

Jean Hein, 19 janvier 2023


La proportionnelle proposée par les écologistes témoigne de leur attachement à l’égalité hommes-femmes et à la juste représentativité des courants politiques à l’Assemblée nationale. Cependant, les modalités choisies pourraient torpiller les intentions louables portées par ce texte.


Note : le terme « proportionnelle » ne s’applique dans cet article qu’à la proportionnelle intégrale comme dans les pays nordiques, du Benelux ou de la péninsule ibérique, et non aux systèmes mixtes non proportionnels comme en Italie, Hongrie et Russie (« dose de proportionnelle ») ou en Grèce (prime majoritaire).

Après le MoDem et le Rassemblement National, c’est ce 18 janvier au tour des écologistes de déposer une proposition de loi pour instaurer la proportionnelle aux élections législatives.

Le diagnostic présenté par les écologistes est le suivant : pouvoir excessif du président de la République et nécéssaire rééquilibrage des institutions ; manque de représentativité de l’Assemblée nationale dû au mode de scrutin actuel qui génère abstention et mouvements protestataires.

Sur le rééquilibrage des institutions on ne peut que donner raison aux écologistes. Sans majorité claire des soutiens présidentiels à l’Assemblée nationale, un rééquilibrage du pouvoir se ferait en faveur du Parlement, tel qu’on l’observe dans les régimes semi-présidentiels dans lesquels les élections législatives sont à la proportionnelle, comme la Finlande, l’Autriche, le Portugal ou la Pologne.

Quant à l’abstention, pour des raisons évidentes le taux de participation aux élections législatives est en effet systématiquement plus haut chez nos voisins où l’élection est à la proportionnelle.

Pour y remédier, les écologistes proposent un mode de scrutin proportionnel dont les modalités sont les suivantes : on vote en un tour dans une circonscription nationale unique pour des listes paritaires sans pouvoir exprimer de préférence pour un candidat spécifique. Seules les listes qui ont dépassé un seuil de 3 % des votes sont admises à la représentation.

Alors que jusqu’ici, la plupart des propositions pour instaurer la proportionnelle reprenaient le mode de scrutin de 1986 sans en questionner les modalités, la proposition des écologistes a pour mérite d’ouvrir le débat sur la diversité des modalités possibles de la proportionnelle, de leurs effets et de leurs enjeux.

Circonscription nationale unique

Comme pour les élections européennes, on vote dans une circonscription nationale unique incluant la Métropole, les Outre-mer et les Français de l’étranger. À l’instar des Pays-Bas ou d’Israël, la circonscription nationale unique permet, si le seuil pour être élu est bas, une représentation très juste des partis proportionnellement aux votes exprimés, incomparable à la représentativité actuelle très faussée de l’Assemblée nationale, ou à la proportionnelle de 1986 limitée par des circonscriptions départementales.

Par ailleurs, quand les circonscriptions sont larges (au moins 10 sièges par circonscription) les effets propres aux scrutins majoritaires, alliances préélectorales et nécessité de voter « utile », disparaissent. Sur des circonscription départementales (la moitié des départements ont 4 sièges ou moins) ces « effets majoritaires » restent fort.

Sur des circonscriptions plus larges, comme une circonscription nationale unique, des circonscriptions régionales ou réunissant plusieurs départements, les partis ne gagnent rien à faire des alliances préélectorales et les électeurs peuvent voter honnêtement pour n’importe quel parti, sans se soucier de voter « utile ».

On ne manquera toutefois pas d’anticiper certaines critiques, non sans fondements : déconnexion entre les députés et les territoires, députés venant des métropoles. Les écologistes s’en défendent, soutenant que la Constitution donne au Sénat le rôle de représenter les territoires, le rôle de l’Assemblée nationale étant de représenter la Nation.

Même si le concept de Nation reste ici ouvert à l’interprétation, la circonscription unique nationale a pour avantage certain de donner à chaque électeur une égalité complète face au scrutin et à ses résultats, qu’il vote dans une métropole, un territoire, les Outre-mer ou à l’étranger.

Cependant, on peut présumer qu’une circonscription nationale unique nuira aux candidats régionalistes et indépendants dont les formations recueillent moins de 3 % des votes nationaux, sauf si ces candidats font alliance, éventualité que la proposition des écologistes n’évoque pas.

Un consensus sur ces questions pourrait être trouvé en organisant l’élection sur des circonscriptions locales (régionales, départementales ou réunissant plusieurs départements) avec des sièges compensatoires attribués pour rétablir une juste proportionnalité, comme c’est le cas dans les pays scandinaves.

Seuil de 3 %

Les écologistes indiquent que pour se « prémunir du risque de fragmentation partisane » les listes qui ont obtenu moins de 3 % des suffrages exprimés ne seront pas admises à la répartition des sièges. Avec 3 % des suffrages, un parti obtiendrait 17 des 577 sièges de l’Assemblée nationale, soit le nombre de députés nécéssaire pour former un groupe parlementaire.

Rappelons qu’un impact négatif lié à un seuil bas et une fragmentation partisane n’est pas accrédité : on observe la même stabilité dans les pays où le seuil est bas comme les Pays-Bas (seuil à 0,67 %, 17 partis représentés) ou le Danemark (2 %, 16 partis) que ceux où le seuil est plus haut comme la Suède (4 %, 8 partis) ou l’Allemagne (5 %, 7 partis). En 2014, le rehaussement du seuil en Israël de 2 % à 3,25 % n’a pas amélioré la situation politique, loin de là.

En revanche, même un seuil de 3 % est un obstacle à la représentation. Aux élections européenne de 2019, 13 % des électeurs ont voté pour une liste qui a obtenu moins de 3 % des suffrages exprimés. Ces 3 millions de citoyens ne sont donc pas représentés.

Pour contrer ce problème, un vote préférentiel par lequel les électeurs classent par ordre de préférence plusieurs partis pourrait être envisagé. Si leur premier choix n’obtient pas 3 %, alors leur vote est attribué à leur choix suivant.

Composition des listes

Fidèles à leur attachement à l’égalité hommes-femmes, la proposition des écologistes impose que les listes soient composées alternativement d’un candidat de chaque sexe, afin que l’Assemblée nationale élue ainsi soit paritaire.

Si l’intention est en accord avec les valeurs défendues par les écologistes, la parité se fait ici au détriment de la modalité électorale la plus fondamentale : la possibilité pour les électeurs de choisir les élus. En effet, les électeurs votent pour une liste, sans panachage ni vote préférentiel pour un candidat. Les sièges sont attribués aux candidats d’après l’ordre de présentation sur chaque liste. Sur une circonscription nationale unique, ces listes contiendraient plusieurs centaines de candidats.

Qui donc choisit les candidats en haut de la liste qui ont une chance d’être élus ? La proposition de loi est claire à ce sujet : « chaque liste [est déclarée] par le candidat tête de liste ou par un mandataire désigné par lui. »

Si cette modalité laisse à chaque parti le soin de composer les listes à sa manière, elle institutionnalise une concentration du pouvoir dans les têtes de liste, en leur donnant un droit de veto sur la composition des listes dont l’ordre des candidats est primordial.

Afin de favoriser la parité, d’inciter à la collégialité, et de limiter la concentration du pouvoir, il pourrait être exigé que la liste soit déclarée conjointement par au moins le binôme homme-femme en tête de liste, voir par un nombre plus important de candidats en tête de liste.

C’est selon les modalités proposées par les écologistes que sont sélectionnés les candidats aux élections européennes en France, scrutin où les écologistes obtiennent leurs meilleurs résultats, ce qui a peut être motivé le choix de ces modalités. Rappelons que la France ne partage, aux élections européennes, son mode de scrutin qu’avec la Hongrie et la Roumanie. Dans tous les autres pays on peut exprimer un vote pour un candidat, ou bien les seuils sont plus bas.

Élire l’Assemblée nationale à partir de listes fermées et sur une circonscription nationale unique, comme en Israël, en Serbie, ou en Afrique du Sud, serait un potentiel recul démocratique dont certains des effets sont envisageables.

Les législatives pourraient ressembler aux présidentielles :

L’Assemblée nationale pourrait en être transformée :

Des listes fermées sur une circonscription nationale unique pourraient ainsi perpétuer la concentration forte du pouvoir dans quelques individus et la personnalisation du politique propre à la Ve République.

Attribuer aux électeurs la possibilité de choisir quels candidats de la liste seront élus résout en grande partie tous ces problèmes, en plus d’étendre les droits démocratiques des citoyens. On appelle cela des « listes ouvertes ».

Rappelons que selon l’OCDE, le Democracy Index et l’université de Cambridge, les pays européens les plus démocratiques, dans lesquels l’abstention est la plus faible et la confiance dans les institutions est la plus forte sont exclusivement ceux où, comme dans les pays nordiques et du Benelux, le mode de scrutin est proportionnel et les citoyens peuvent donner leur préférence à un candidat, et pas seulement voter pour une liste.

Les pays européens où l’on ne peut que voter pour une liste sans émettre de préférence pour un candidat, comme l’Espagne, le Portugal, la Roumanie, ou la Serbie, ne se démarquent pas des pays où le scrutin est majoritaire quand il s’agit de mesurer la confiance dans les institutions et la qualité démocratique, et l’abstention y est plus forte que dans les pays avec des listes ouvertes.

Laisser aux citoyens et pas aux chefs des partis le choix des candidats élus ne permet cependant pas de garantir que l’Assemblée nationale soit in fine paritaire, même si la parité peut-être favorisée par de nombreux moyens. À ce jour, il n’y a pas de solution consensuelle qui maintienne une exigence démocratique et permette de résoudre la question de la parité complète par les modalités de l’élection. La méthode reste à inventer ou est à trouver en dehors de l’élection.

Appel à la jeunesse

« En cas d’égalité de suffrages, le siège est attribué au plus jeune des candidats. » La proposition des écologistes renverse ici la logique de la Ve République. Alors que chez beaucoup de nos voisins une égalité de suffrages est résolue par un tirage au sort, la Ve République attribue systématiquement le siège au candidat le plus âgé. Même si cette modalité n’aura pas d’effet car il est improbable que deux listes reçoivent le même nombre de suffrages, c’est un signe remarqué envers la jeunesse.

Une réforme qui doit être améliorée

La proposition des écologistes permet d’ouvrir le débat sur les modalités possibles de la proportionnelle et prône des modalités novatrices ou justes : listes paritaires, mise en avant de la jeunesse, représentativité des courants politiques à l’Assemblée nationale.

Cependant, l’impossibilité pour les électeurs d’exprimer une préférence pour un candidat, sur de longues listes nationales dont la composition est soumise au veto des chefs des partis en tête de liste, aboutirait à un potentiel recul démocratique, perpétuant une concentration du pouvoir propre à la Ve République, sans améliorer au mieux la représentativité de l’Assemblée nationale.

Si elle peut être saluée, cette proposition de loi doit donc encore être améliorée pour correspondre aux exigences de démocratie défendues par les écologistes.

Pour conclure, rappelons que selon les modalités choisies, deux modes de scrutin proportionnels peuvent avoir plus de différences entre eux qu’avec un mode de scrutin majoritaire. Il est donc essentiel de bien comprendre les enjeux des différentes modalités et les effets qu’elles produisent là où elles sont en place. À cette fin, nous invitons le groupe des écologistes à nous contacter pour améliorer leur proposition de loi.¶